27 mars 2001
Baie d’Okuma, Antarctique.

9

Le commandant Daniel Gillespie se tenait sur l’énorme pont arrière du Polar Storm et observait, dans ses jumelles teintées, la glace qui s’accumulait autour de la coque du brise-glace de recherches de 8 000 tonnes. Mince comme un haricot, il avait fréquemment des moments d’anxiété. Il étudiait la glace tout en calculant mentalement la meilleure route pour son navire. La glace de l’automne s’était formée de bonne heure dans la mer de Ross. À certains endroits, elle atteignait déjà 60 centimètres d’épaisseur, avec des monticules allant jusqu’à 90 centimètres.

Le navire trembla sous ses pieds quand sa grosse proue frappa la glace comme un bélier puis se souleva au-dessus de sa surface blanche. Alors le poids de la partie avant du navire écrasa l’énorme banquise en morceaux de la taille de pianos, qui heurtèrent la peinture de la coque avec des grognements. Puis ces morceaux se jetèrent contre les plaques d’acier pour finir par se couper en petits morceaux, hachés par les hélices de 6,60 mètres et laissés dans le sillage où ils flottèrent comme des bouchons. Et cela se répéta jusqu’à ce qu’ils atteignent une partie de la mer, à quelques milles du continent, où la plaque de glace avait été plus lente à se former.

Le Polar Storm combinait les capacités d’un brise-glace et d’un vaisseau de recherches. D’après la plupart des normes maritimes, c’était un vieux navire, lancé vingt ans plus tôt, en 1981. Il était également assez petit pour un brise-glace. Pour un déplacement de 8 000 tonnes, il mesurait 43,5 mètres de long et 8,10 mètres de large. Son équipement permettait les études océanographiques, météorologiques, biologiques, et les recherches sur la glace. Il était capable de traverser des plaques de glace d’au moins 90 centimètres d’épaisseur.

Evie Tan avait embarqué sur le Polar Storm à l’escale de Montevideo, en Uruguay, sur sa route vers l’Antarctique. Elle était assise sur une chaise et écrivait dans un carnet. Auteur d’ouvrages scientifiques et techniques, Evie était montée à bord pour rédiger un article pour un magazine scientifique national. C’était une femme menue, aux longs cheveux noirs soyeux, née et élevée aux Philippines. Elle regarda le commandant Gillespie scruter la banquise avant de lui poser une question.

— Votre but est-il de débarquer une équipe de scientifiques sur la banquise pour étudier la glace marine ? Gillespie abaissa ses jumelles et hocha la tête.

— C’est la routine, le travail courant. Quelquefois jusqu’à trois fois pendant une journée antarctique, les glaciologues descendent sur la glace pour prendre des échantillons et faire des relevés, pour les étudier ensuite dans le laboratoire du navire. Ils relèvent aussi les propriétés physiques de la glace et de l’eau de mer, d’escale en escale.

— Cherchent-ils quelque chose en particulier ?

— Joël Rogers, le scientifique qui dirige cette expédition, vous l’expliquera mieux que moi. Le but principal du projet est d’évaluer l’impact du réchauffement actuel qui rétrécit la glace marine autour du continent.

— Est-il prouvé scientifiquement que la glace diminue ? demanda Evie.

— Pendant l’automne antarctique, de mars à mai, l’océan autour du continent commence à geler et la glace à le recouvrir. Autrefois, la banquise s’étirait au-delà de la masse de la terre et formait un vaste collier, deux fois plus grand que l’Australie. Mais maintenant, la glace marine s’est retirée et n’est plus aussi épaisse ni aussi étendue qu’avant. Les hivers ne sont plus aussi froids qu’ils l’étaient dans les années 1950 et 60. À cause du réchauffement, un lien essentiel dans la chaîne marine de l’Antarctique s’est brisé.

— En commençant par l’algue unicellulaire, qui vit sous la glace de la banquise, proposa Evie, bien informée.

— Vous avez bien appris votre leçon, répondit Gillespie en souriant. Sans cette algue qui les nourrit, il n’y aurait pas de krill, ce minuscule animal ressemblant à une crevette qui pourvoit à son tour à la nourriture de tous les animaux et de tous les poissons de ces eaux méridionales, des pingouins aux baleines et aux pinnipèdes.

— Par pinnipèdes, vous voulez dire les phoques ?

— C’est cela.

Evie laissa errer son regard sur la baie d’Okuma, qui divise la Grande Plaque de Ross et la péninsule Edward VII.

— Cette chaîne de montagnes, au sud, dit-elle, comment l’appelle-t-on ?

— Les monts Rockefeller, répondit Gillespie. Ils sont flanqués par le mont Frazier, de ce côté-ci, et le mont Nilsen, de l’autre.

— Ils sont magnifiques, dit Evie admirant les pics couverts de neige, éblouissants sous le soleil qui brillait. Puis-je vous emprunter vos jumelles ?

— Bien sûr.

Evie régla les lentilles sur un complexe formé de grands bâtiments entourant une large structure en forme de tour, à 3 kilomètres seulement vers le sud, dans une partie protégée de la baie d’Okuma. Elle distingua un aérodrome derrière les bâtiments et une jetée de béton s’enfonçant dans la baie. Un gros cargo était mouillé près de la jetée et une grue à longue flèche le déchargeait.

— Est-ce une station de recherches, là-bas, au pied du mont Frazier ?

Gillespie regarda dans la direction où elle dirigeait les jumelles.

— Non, il s’agit d’un complexe minier, appartenant et exploité par un grand conglomérat international basé en Argentine. Ils extraient des minéraux de la mer.

Elle baissa les jumelles et le regarda.

— Je ne pensais pas que ce soit économiquement faisable. Gillespie secoua la tête.

— D’après ce que m’a dit Bob Maris, notre géologue, ils ont mis au point un nouveau procédé pour extraire l’or et d’autres métaux précieux de l’eau de mer.

— Bizarre que je n’en aie pas entendu parler.

— Leurs travaux sont très secrets. Nous ne pouvons nous approcher davantage sans que leurs navires de surveillance viennent nous rappeler à l’ordre. Mais on dit qu’ils utilisent une nouvelle science, appelée nanotechnologie.

— Pourquoi dans un lieu aussi éloigné que l’Antarctique ? Pourquoi pas sur une côte ou une ville portuaire où le transport serait plus aisé ?

— Selon Maris, le gel de l’eau concentre le sel et le pousse au fond. L’extraction devient alors plus efficace. Le commandant se tut et regarda la banquise sous la proue.

— Excusez-moi, mademoiselle Tan, mais il y a un iceberg qui arrive droit devant.

L’iceberg surgit de la plaque de glace comme un plateau désert couvert d’un drap blanc. Ses murailles abruptes s’élevaient de 30 mètres au-dessus de la mer. D’un blanc brillant sous le pur soleil radieux et un ciel bleu et clair, l’iceberg semblait virginal et non touché par l’homme, les animaux ou les plantes marines. Le Polar Storm approcha l’iceberg par l’ouest et Gillespie ordonna à l’homme de barre de mettre en route les systèmes de contrôle automatique du navire sur un trajet faisant le tour du glacier au plus près. L’homme de barre manœuvra habilement les contrôles électroniques sur une grande console et poussa un petit peu le brise-glace de 75 degrés sur bâbord, surveillant l’échosondeur pour s’assurer qu’aucun éperon sous-marin ne sortait de l’iceberg. La grosse quille du brise-glace était faite pour résister à un grand choc de glace massive, mais Gillespie ne voyait aucune raison d’infliger quelque dommage que ce soit aux plaques de métal de son navire.

Il fit le tour de la masse de glace à moins de 300 mètres, une distance raisonnable assez proche cependant pour que son équipage et les scientifiques, sur le pont ouvert, puissent contempler les falaises de glace qui dominaient la mer. C’était une vue étrange et magnifique. Bientôt, le navire contourna l’immense iceberg et retourna vers la banquise, au-delà.

Soudain, un autre bateau apparut, que l’iceberg avait caché. Gillespie fut étonné de constater qu’il s’agissait d’un sous-marin. Le vaisseau des profondeurs avançait à travers une ligne ouverte dans la glace, en plein sur un chemin qui le mènerait droit dans la grande proue du brise-glace, de bâbord à tribord.

L’homme de barre réagit avant même que Gillespie ait crié ses ordres sur le pont. Il jaugea la situation, jugea de la vitesse du sous-marin et lança le gros moteur diesel bâbord du brise-glace sur en arrière toute. C’était une manœuvre sage, de celles qui auraient pu sauver le transatlantique de la White Star, le Titanic. Plutôt que de mettre en marche arrière les deux moteurs en un vain effort pour arrêter l’élan du grand brise-glace, il laissa le moteur tribord sur en avant demi. Une hélice poussant le Polar Storm en avant et l’autre en arrière, le navire tourna beaucoup plus vite qu’avec une simple commande du gouvernail.

Sur le pont, tout le monde semblait hypnotisé, tandis que la direction de la proue s’éloignait lentement de la coque du sous-marin pour se retrouver dans son sillage, derrière sa poupe.

Il n’y avait pas eu une seconde pour prévenir, pour communiquer d’un navire à l’autre. Gillespie fit sonner la corne de brume du brise-glace et cria par l’intercom à l’équipage et aux scientifiques de se préparer à une collision. Il y eut une sorte de frénésie réprimée sur le pont.

— Allez, mon bébé, pria l’homme de barre. Tourne !

Evie regarda, fascinée, avant que le côté professionnel de son esprit reprenne le dessus. Elle sortit rapidement son appareil photo, vérifia les réglages et commença à prendre des photos. Au télémètre, elle ne vit aucun équipage sur le pont du sous-marin, aucun officier sur le kiosque. Elle s’était arrêtée pour changer le réglage quand elle aperçut la proue du sous-marin glisser sous la plaque de glace et entamer sa plongée.

Les deux bateaux se frôlèrent. Gillespie était sûr que la proue massive et renforcée du brise-glace allait déchirer la coque épaisse du sous-marin. Mais un élan soudain du vaisseau des profondeurs, l’action rapide de l’homme de barre et l’habileté du Polar Storm à prendre des virages serrés firent toute la différence entre un coup manqué et une tragédie.

Gillespie se précipita vers le pont d’aile tribord et scruta l’eau, craignant le pire. Le sous-marin avait à peine plongé sous la surface quand la proue du brise-glace passa au-dessus de sa poupe, manquant le gouvernail et les hélices de moins de la longueur d’une table ordinaire de salle à manger. Gillespie ne put croire que les deux navires ne s’étaient pas heurtés. L’étrange sous-marin avait disparu avec à peine une vague, l’eau glacée tourbillonnant lentement en volutes puis retrouvant son calme, comme si le sous-marin n’avait jamais été là.

— Nom de Dieu ! On n’est pas passés loin ! murmura l’homme de barre avec un soupir de soulagement.

— Un sous-marin, dit Evie d’une voix rêveuse en baissant son appareil photo. D’où venait-il ? À quelle marine appartient-il ?

— Je n’ai vu aucun logo, constata l’homme de barre. Et il ne ressemblait à aucun sous-marin que j’aie jamais vu. Le second du navire, Jake Bushey, se précipita sur le pont.

— Que s’est-il passé, commandant ?

— On a failli percuter un sous-marin.

— Un sous-marin nucléaire, ici, dans la baie Marguerite ? Vous plaisantez !

— Le commandant Gillespie ne plaisante pas, intervint Evie. J’ai des photos pour le prouver.

— Ce n’était pas un sous-marin nucléaire, ajouta Gillespie.

— C’était plutôt un modèle ancien, d’après ses lignes, précisa l’homme de barre en regardant ses mains et remarquant pour la première fois qu’elles tremblaient.

— Prenez le commandement, ordonna Gillespie à Bushey. Gardez le cap sur ces récifs de glace, à un mille au large, sur tribord avant. Les scientifiques descendront là. Je serai dans ma cabine.

Evie et Jake Bushey remarquèrent tous deux l’expression étonnée et distante du commandant. Ils le regardèrent descendre une échelle de coupée vers une coursive sur le pont inférieur. Gillespie ouvrit la porte de sa cabine et y entra. Né au milieu des marins, il adorait l’histoire de la mer. Des étagères couvraient les cloisons de sa cabine, pleines de livres sur l’océan. Il jeta un coup d’œil aux titres puis sortit un ouvrage d’identification des anciens navires.

Il s’assit dans un confortable fauteuil de cuir et tourna les pages, s’arrêtant sur une photo au milieu du livre. Le voilà ! Le navire apparu sous ses yeux, venu de nulle part, était photographié là. C’était un gros sous-marin naviguant en surface, non loin d’une côte rocheuse. Sous la photo, la légende disait :

La seule photo connue de l’U-2015, l’un des deux bateaux Electro XXI qui furent opérationnels pendant la Seconde Guerre mondiale. Rapide, il pouvait rester en immersion pendant de très longues périodes et parcourir pratiquement la moitié du monde avant de remonter pour se réapprovisionner en carburant.

La légende disait aussi que l’U-2015 avait été vu pour la dernière fois au large des côtes danoises, puis avait disparu quelque part dans l’Atlantique. Depuis, on le considérait comme disparu.

Gillespie ne pouvait pas croire ce que ses yeux lui disaient. Cela semblait impossible, et pourtant, il savait que c’était vrai. L’étrange vaisseau sans marque, que le Polar Storm avait failli envoyer par le fond glacé de la baie, était un U-boat nazi, rescapé d’une guerre terminée depuis cinquante-six ans.

10

Après une longue conférence avec l’amiral Sandecker, le président de l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine, et Francis Ragsdale, le tout nouveau directeur du FBI, il fut décidé que Pitt, Giordino et Pat O’Connell s’envoleraient pour Washington pour briefer les enquêteurs du gouvernement sur l’étrange série d’événements de la mine Paradise. Des agents du FBI furent envoyés chez Pat, près de l’université de Pennsylvanie, et à Philadelphie pour emmener sa fille dans une maison sûre de la banlieue de Washington où elles seraient bientôt ensemble. Des agents se rendirent aussi discrètement à Telluride où ils pressèrent Luis et Lisa Marquez et leurs filles de les accompagner en un lieu secret à Hawaii.

Escortés par un cercle protecteur d’auxiliaires du shérif, grâce à Eagan, Pitt, Giordino et Pat O’Connell embarquèrent à bord du jet de la NUMA et s’envolèrent pour la capitale de la nation. Tandis que le Cessna Citation Ultra V, peint en turquoise, passait les pics couverts de neige des montagnes de San Juan et se dirigeait vers le Nord-Est, Pat se détendit dans son fauteuil de cuir et prit la main de Pitt dans la sienne.

— Vous êtes sûr que ma fille est à l’abri ? Il sourit et lui serra doucement la main.

— Pour la dixième fois, elle est entre les mains très capables du FBI. Vous la serrerez dans vos bras dans quelques heures.

— Je ne peux imaginer de vivre comme un animal traqué jusqu’à la fin de ma vie.

— Cela n’arrivera pas, la rassura Pitt. Dès que nous aurons déniché ces cinglés du Quatrième Empire, qu’ils seront arrêtés et condamnés, nous pourrons tous mener à nouveau une vie normale.

Pat regarda Giordino qui s’était endormi dès que le train de l’avion avait quitté le tarmac.

— Il ne perd pas de temps pour se laisser aller, lui !

— Al peut dormir n’importe où et n’importe quand. Il est comme les chats. (Il attira sa main à ses lèvres et posa un léger baiser au bout de ses doigts.) Vous devriez dormir. Vous êtes sans doute morte de fatigue.

C’était la première marque d’affection que lui offrait Pitt depuis leur rencontre et Pat sentit une chaleur agréable monter en elle.

— J’ai l’esprit trop occupé pour être fatiguée. (Elle sortit son carnet de son sac.) Je vais profiter du vol pour commencer à analyser les inscriptions.

— L’appareil a un équipement informatique dans la cabine arrière, si ça peut vous être utile.

— A-t-il un scanner pour entrer mes notes sur une disquette ?

— Je crois.

La fatigue parut s’effacer de son visage.

— Ça m’aiderait beaucoup. Dommage que ma pellicule se soit abîmée après être restée dans l’eau.

Pitt mit la main dans la poche de son pantalon et en sortit un paquet de plastique qu’il posa sur les genoux de la jeune femme.

— Voici les photos de toutes les surfaces de la crypte. Elle fut abasourdie, en ouvrant le paquet, de trouver six rouleaux de pellicule.

— Où diable avez-vous eu ça ?

— Avec les compliments du Quatrième Empire, répondit-il d’un ton détaché. Al et moi avons interrompu leur séance de photo dans la crypte. Ils la terminaient quand nous sommes arrivés. Je suppose qu’ils ont pris la totalité du texte. Je ferai développer les pellicules en priorité par le labo photo de la NUMA.

— Oh ! Merci ! dit Pat, ravie, en embrassant sa joue mal rasée. Mes notes ne couvraient qu’une petite partie des inscriptions.

Comme s’il n’était qu’un étranger dans une rue passante, elle le planta là et se dirigea vers la cabine informatisée de l’appareil.

Pitt détendit son corps douloureux, se leva et alla vers l’avant où il ouvrit le réfrigérateur de la petite cuisine d’où il sortit un jus de fruit. Il regretta une fois de plus que l’amiral Sandecker n’autorisât pas les boissons alcoolisées à bord des avions et des navires de la NUMA.

Il s’arrêta pour regarder la caisse de bois bien arrimée sur un siège vide. Il n’avait pas quitté des yeux le crâne d’obsidienne depuis qu’il l’avait sorti de la crypte. Il ne put qu’imaginer les orbites vides le regardant à travers le bois de la caisse. Il s’assit de l’autre côté de l’allée, tira l’antenne d’un petit téléphone Globalstar et demanda un numéro préenregistré. Son appel fut relié à l’un des soixante-dix satellites en orbite qui le relaya à un autre satellite lequel, à son tour, le renvoya sur la terre où il se connecta au réseau public de téléphone.

Pitt vit par le hublot passer les nuages, sachant que son correspondant ne répondait jamais avant la septième ou la huitième sonnerie. Finalement, à la dixième, une voix profonde répondit.

— Je suis là.

— St. Julien ?

— Dirk ! dit St. Julien Perlmutter, ravi, en reconnaissant la voix. Si j’avais su que c’était toi, j’aurais répondu plus vite.

— Cela ne vous aurait pas ressemblé.

Pitt n’avait aucun mal à imaginer Perlmutter et ses 180 kilos, dans son habituel pyjama de soie, enterré sous une montagne de livres concernant les navires et les océans, dans l’ancien relais de poste dont il avait fait sa maison. Conteur, gourmand, connaisseur et autorité reconnue de l’histoire de la marine, sa bibliothèque contenait les livres les plus rares sur le sujet, des lettres, des papiers et les plans de presque tous les navires jamais construits. Il était une encyclopédie vivante de la mer et des marins.

— Où es-tu, mon garçon ?

— Trente-cinq mille pieds au-dessus des montagnes Rocheuses.

— N’aurais-tu pu attendre d’être à Washington pour m’appeler ?

— Je voulais mettre en branle un projet de recherche à la première occasion.

— En quoi puis-je t’aider ?

Pitt expliqua brièvement la crypte mystérieuse et les inscriptions sur les murs. Perlmutter écouta pensivement, l’interrompant de temps à autre pour poser une question. Quand Pitt eut fini, il lui demanda :

— Qu’as-tu exactement en tête ?

— Vous avez accumulé des dossiers sur les contacts précolombiens avec les Amériques.

— J’en ai plein une pièce. Des matériaux et des données sur tous les navigateurs ayant visité l’Amérique du Nord, du Centre et du Sud bien avant Christophe Colomb.

— Vous rappelez-vous une quelconque histoire à propos d’anciens navigateurs qui auraient gagné l’intérieur des terres et y auraient creusé des cryptes souterraines ? Qui les auraient construites dans le seul but de laisser un message à ceux qui viendraient après eux ? Est-ce que ce genre de chose a jamais été mentionné dans l’Histoire récente ?

— Ça ne me vient pas à l’esprit pour l’instant. II existe un certain nombre de récits sur le commerce que faisaient depuis longtemps les peuples des Amériques et les navigateurs d’Europe et d’Afrique. On pense qu’il existait des mines de cuivre et d’étain pour fabriquer du bronze et dont l’extraction massive remonterait à cinq mille ans au moins.

— Où ? demanda Pitt.

— Dans le Minnesota, le Michigan, le Wisconsin.

— Est-ce vrai ?

— Moi, j’y crois, dit Perlmutter. Il y a des traces de très vieilles mines de plomb dans le Kentucky, de serpentine en Pennsylvanie et de mica en Caroline du Nord. Les mines ont été exploitées pendant de nombreux siècles avant Jésus-Christ. Puis, mystérieusement, les mineurs inconnus ont disparu en très peu de temps, laissant leurs outils et autres preuves de leur présence là où ils se trouvaient, sans parler des sculptures de pierre, des autels et de dolmens. Les dolmens sont de larges pierres préhistoriques horizontales portées par deux pierres verticales ou davantage.

— N’auraient-ils pu être l’œuvre des Indiens ?

— Les Indiens d’Amérique ont rarement sculpté de la pierre et encore moins conçu des monuments de pierre. Les ingénieurs des Mines, après avoir étudié les anciennes excavations, estiment qu’on en a retiré plus de quatre millions de tonnes de cuivre. Aucun ne croit que les Indiens auraient pu en être les auteurs parce que les archéologues n’ont guère trouvé plus de quelques centaines de kilos de cuivre sous forme de perles et de colifichets. Les anciens Indiens travaillaient très peu le métal.

— Mais nulle indication de chambres souterraines ni d’inscriptions énigmatiques ? Perlmutter réfléchit.

— Non, je ne crois pas. Les mineurs de la préhistoire ont laissé fort peu de signes sur des poteries ou d’inscriptions extraordinaires. Juste quelques logogrammes et des pictogrammes, illisibles pour la plupart. On ne peut que supposer qu’ils viennent d’Égyptiens, de Phéniciens, d’hommes du Nord ou peut-être même d’une race plus ancienne. Dans les mines celtes du Sud-Ouest, il y en a des exemples et, dans l’Arizona, il y aurait des preuves d’objets romains trouvés non loin de Tucson, tout au début de ce siècle. Alors, que pouvons-nous dire ? La plupart des archéologues répugnent à se mettre dans une situation difficile en soutenant l’idée d’un contact précolombien. Ils refusent tout simplement d’accepter la thèse du diffusionnisme.

— Une influence culturelle d’un peuple à un autre grâce à des contacts, c’est ça ?

— Exactement.

— Mais pourquoi ? demanda Pitt. Quand il existe tant de preuves ?

— Les archéologues ont la tête dure, répondit Perlmutter. Ils viennent tous du Missouri. Il faut leur mettre le nez dessus. Mais comme les cultures précolombiennes n’ont pas utilisé la roue, sauf pour les jouets, ni développé la roue du potier, ils refusent de croire à la diffusion.

— Il pourrait y avoir des tas d’autres raisons. Avant l’arrivée de Cortés et des Espagnols, il n’y avait ni chevaux ni bœufs en Amérique. Même moi je sais que l’idée de la brouette a mis six cents ans pour aller de la Chine à l’Europe.

— Que puis-je te dire ? soupira Perlmutter. Je ne suis qu’un mordu d’histoire maritime qui refuse d’écrire des traités sur des sujets dont je ne sais pas grand-chose.

— Mais vous allez chercher dans votre bibliothèque tout ce que vous pourrez trouver sur les cryptes souterraines avec des inscriptions indéchiffrables, dans les coins les plus reculés du monde, il y a 4 000 ans, n’est-ce pas ?

— Je ferai de mon mieux.

— Merci, mon vieil ami. Je ne saurais vous en demander plus.

Pitt avait une foi aveugle dans le vieil ami de sa famille, qui l’avait fait sauter sur ses genoux en lui racontant des histoires de marins, lorsqu’il était petit garçon.

— Y a-t-il quelque chose que tu ne m’aies pas dit à propos de cette crypte ? demanda Perlmutter.

— Seulement que j’y ai trouvé un objet.

— Et tu ne me disais rien ? Quelle sorte d’objet ?

— Un crâne grandeur nature, fait de l’obsidienne la plus pure. Perlmutter laissa l’idée le pénétrer un moment.

— Tu connais sa signification ? demanda-t-il enfin.

— Je n’en vois pas d’évidente, répondit Pitt. Tout ce que je peux vous dire, c’est que, sans outils modernes, les Anciens qui ont taillé et poli ce gros morceau d’obsidienne ont dû s’y mettre à dix générations pour réaliser une œuvre aussi splendide.

— Tu as raison. L’obsidienne est une roche volcanique formée par le refroidissement rapide de la lave. Pendant plusieurs milliers d’années, l’homme s’en est servi pour faire des pointes de flèches, des couteaux et des lances. L’obsidienne est très friable. C’est un exploit remarquable d’avoir créé un tel objet en un siècle et demi, sans le briser ni le fêler. Pitt regarda la caisse attachée au siège.

— Dommage que vous ne puissiez pas être ici pour le voir, St. Julien !

— Inutile, je sais déjà à quoi il ressemble.

Pitt sentit qu’il y avait quelque chose de louche. Perlmutter avait la réputation de jouer avec ses victimes avant d’étaler sa supériorité intellectuelle. Il n’eut donc d’autre choix que de sauter dans le piège.

— Il faudrait le voir de vos propres yeux pour apprécier sa beauté.

— Ai-je oublié de te dire, mon cher garçon, dit Perlmutter d’un ton faussement innocent, que je sais où il y en a un autre ?

11

Le Cessna Ultra V atterrit sur la piste à Test de la base de l’Air Force d’Andrews et roula jusqu’aux hangars loués par l’Air Force à diverses agences gouvernementales. La flotte aérienne de la NUMA et les locaux de transports étaient situés dans la partie nord-est de la base. Une camionnette de la NUMA, avec deux gardes de sécurité, attendait pour emmener Giordino à son appartement d’Alexandria, en Virginie, et Pat à la maison surveillée où l’attendait sa fille.

Pitt portait avec précaution la caisse renfermant le crâne d’obsidienne. Il la posa par terre. Il n’accompagnerait pas Pat et Giordino, mais rentrerait en ville.

— Vous ne venez pas avec nous ? demanda Pat.

— Non, quelqu’un vient me chercher.

— Une amie ? dit-elle avec un regard entendu.

— Me croiriez-vous si je vous disais qu’il s’agit de mon parrain ?

— Non, je ne crois pas. Quand vous reverrai-je ? Il posa un léger baiser sur son front.

— Plus tôt que vous ne le pensez.

Il ferma la portière et regarda la camionnette s’éloigner vers la grille principale de la base. Il se détendit et s’assit par terre, le dos appuyé à une des roues du train d’atterrissage, tandis que le pilote et le copilote s’éloignaient. L’air printanier de Washington était frais et clair et la température agréable pour la saison. Il n’attendait que depuis dix minutes quand une très élégante automobile gris et argent arriva dans le plus grand silence et s’arrêta à côté de l’avion.

Le châssis de la Rolls-Royce Silver Dawn était allé de la chaîne de montage à la société Hooper et Compagnie, carrossiers de renom, en 1955. Les pare-chocs se terminaient en gracieux faisceaux, les roues et les flancs étaient parfaitement lisses. Le moteur de six cylindres en ligne, avec arbre à cames en tête, assurait à la voiture un déplacement parfaitement silencieux et une vitesse maximale de 140 kilomètres/heure, sans autre bruit que le bruissement des pneus.

Hugo Mulholland, le chauffeur de St. Julien Perlmutter, sortit de son côté de la voiture et tendit la main.

— Quel plaisir de vous revoir, monsieur Pitt !

Celui-ci sourit et serra la main du chauffeur. Le salut fut donné sans le moindre signe de cordialité, mais Pitt ne s’en offensa pas. Il connaissait Hugo depuis plus de vingt ans. Chauffeur et aide très capable de Perlmutter, il avait en fait un grand cœur et beaucoup d’attention, mais il ne plaisantait jamais et ne se montrait pas davantage souriant. En définitive, il avait le visage impassible de Buster Keaton.

Il prit le sac marin de Pitt et le mit dans la malle de la Rolls, puis s’écarta lorsque Pitt installa la caisse de bois à côté de son sac. Après quoi Mulholland ouvrit la portière arrière et se tint respectueusement à côté.

Pitt monta dans la voiture, sur la banquette arrière dont les deux tiers étaient occupés par la grande carcasse de Perlmutter.

— St. Julien, vous semblez vous porter comme un charme.

— Plutôt comme un baobab !

Perlmutter prit la tête de Pitt entre ses mains et l’embrassa sur les deux joues. L’énorme bonhomme portait un panama sur ses cheveux gris. Son visage était rosé, avec un nez comme une tulipe et des yeux bleu ciel.

— Il y a trop longtemps que je ne t’ai vu. Depuis que cette petite Asiatique travaillant au service de Naturalisation et d’Immigration nous a confectionné un bon dîner dans l’appartement de ton hangar1.

— Julia Marie Lee. C’était il y a tout juste un an.

— Qu’est-elle devenue ?

— La dernière fois que j’ai entendu parler d’elle, Julia était en mission à Hong Kong.

— Elles ne restent jamais longtemps, n’est-ce pas ? dit Perlmutter d’un ton rêveur.

— Je ne suis pas le genre d’homme que les femmes veulent présenter à leur mère.

— C’est stupide. Tu ferais un parti superbe si tu voulais bien te fixer.

Pitt changea de sujet.

— Je rêve ou je sens quelque chose à manger ?

— Quand as-tu mangé pour la dernière fois ?

— J’ai pris un café ce matin et un jus d’orange pour déjeuner.

Perlmutter souleva un panier de pique-nique posé sur le plancher de la voiture et le posa sur ses larges cuisses. Puis il tira des plateaux de noyer cachés dans le dossier des sièges avant.

— J’ai préparé un petit en-cas pour attendre d’arriver à Fredericksburg.

— Est-ce là où nous allons ? demanda Pitt qui attendait avec impatience de découvrir les bonnes choses contenues dans le panier.

Perlmutter se contenta de hocher la tête et sortit une bouteille de Champagne brut Veuve-Clicquot Ponsardin label jaune.

— Ça te va ?

— C’est mon préféré, admit Pitt.

Mulholland ayant été autorisé à passer l’entrée principale, il tourna à gauche dans Capital Beltway et se dirigea à l’est, traversa le Potomac, atteignit Springfield et tourna vers le sud. Dans le compartiment arrière de la Rolls, Perlmutter installa des couverts d’argent et des assiettes de porcelaine sur les plateaux puis commença à passer divers plats, commençant par des crêpes aux champignons, des ris de veau, des huîtres grillées et panées, plusieurs pâtés, et des fromages, pour finir par des poires pochées au vin rouge.

— C’est un vrai festin, St. Julien ! J’ai rarement l’occasion de déjeuner de façon aussi somptueuse.

— Moi, si, dit Perlmutter en tapotant son large estomac. Et c’est ce qui fait la différence entre nous.

Le grandiose pique-nique s’acheva par un Thermos de café à l’italienne.

— Pas de cognac ? plaisanta Pitt.

— Il est trop tôt dans la journée pour qu’un sexagénaire comme moi prenne un alcool fort. Sinon, je somnole tout l’après-midi.

— Où est le second crâne d’obsidienne dont vous avez parlé ?

— À Fredericksburg.

— C’est ce que je supposais.

— Il appartient à une très gentille vieille dame du nom de Christine Mender-Husted. Son arrière-grand-mère a trouvé le crâne quand le baleinier de son mari a été pris dans la glace hivernale d’Antarctique. Une histoire fascinante. Selon la légende familiale, Roxanna Mender s’est un jour perdue sur la banquise. Quand son mari, le commandant Bradford Mender, maître du baleinier Paloverde et son équipage l’ont retrouvée, ils ont découvert un Indiaman anglais abandonné. Intrigués, ils l’ont abordé et fouillé, trouvant l’équipage et les passagers morts de froid. Dans un entrepôt, ils ont découvert un crâne d’obsidienne et d’autres objets étranges qu’ils durent laisser sur place parce que la banquise commençait à se briser et qu’il leur fallut courir jusqu’à leur propre navire.

— Ont-ils sauvé le crâne noir ?

— En effet, dit Perlmutter en hochant la tête. Roxanna elle-même l’a emporté en quittant le navire abandonné. Il est dans la famille depuis.

Pitt regarda rêveusement, par la fenêtre de la Rolls, le paysage verdoyant de Virginie.

— Même si les deux crânes sont identiques, sans marques, ils ne nous disent rien de qui les a créés ni pourquoi.

— Je n’ai pas pris rendez-vous avec Mme Mender-Husted pour comparer les crânes.

— Ah ? Et quel est votre projet ?

— Voilà dix ans que j’essaie d’acheter à la famille Mender des lettres datant du temps où le commandant Mender chassait les baleines. Y compris les livres de bord des navires sur lesquels il a servi. Mais la pièce de résistance de la collection, l’objet pour lequel je donnerais les quelques dents qui me restent, c’est le livre de bord du navire abandonné qu’ils ont trouvé dans les glaces.

— C’est la famille Mender qui l’a ? demanda Pitt, sa curiosité piquée.

— D’après ce que j’ai compris, le commandant Mender l’a pris juste avant de retraverser la banquise en vitesse.

— Alors vous aviez une arrière-pensée en entreprenant ce voyage ? Perlmutter eut un sourire rusé.

— J’espère que Mme Mender-Husted, quand elle verra notre crâne, se laissera fléchir et me vendra le sien en même temps que les archives familiales.

— Vous n’avez pas honte, quand vous vous regardez dans la glace ?

— Si, dit Perlmutter avec un rire diabolique. Mais ça passe très vite !

— Y a-t-il quelque chose dans le journal du navire abandonné qui indiquerait l’origine du crâne ? Perlmutter fit signe que non.

— Je ne l’ai jamais lu. Mme Mender-Husted le garde sous clef.

Plusieurs secondes passèrent. Pitt était perdu dans ses pensées. Il ne pouvait s’empêcher de se demander combien d’autres crânes d’obsidienne étaient cachés dans le monde.

Roulant silencieusement à la vitesse limite, la Rolls-Royce couvrit la distance jusqu’à Fredericksburg en une heure et demie. Mulholland mena la majestueuse voiture sur une allée circulaire et s’arrêta devant une pittoresque maison coloniale, sur les hauteurs de la ville, dominant la rivière Rappahanock et le champ de bataille où 12 500 soldats de l’Union étaient tombés en un seul jour, pendant la guerre de Sécession. La maison, bâtie en 1848, était un gracieux souvenir du passé.

— Et voilà, nous y sommes, dit Perlmutter tandis que Mulholland lui ouvrait la portière.

Pitt alla ouvrir le coffre arrière où il prit la caisse contenant le crâne.

— Cela devrait se révéler intéressant, dit-il.

Ils montèrent les marches et tirèrent un cordon qui déclencha une cloche à l’intérieur.

Christine Mender-Husted aurait pu être la grand-mère que chacun rêve d’avoir. Elle était vive et pleine d’entrain, avec des cheveux blancs, un sourire accueillant, un visage d’ange, et plutôt ronde, avec au moins dix kilos de trop. Ses mouvements étaient aussi rapides que le regard de ses yeux noisette. Elle salua Perlmutter d’une poignée de main ferme et fît un petit signe de la tête quand il lui présenta son jeune ami.

— Entrez, je vous en prie, dit-elle d’une voix douce. Je vous attendais. Puis-je vous offrir une tasse de thé ?

Les deux hommes acceptèrent et elle les mena vers une bibliothèque au plafond haut, où ils prirent place dans de confortables fauteuils de cuir. Après qu’une jeune fille, qu’elle présenta comme la nièce d’un voisin l’aidant à tenir la maison, eut servi le thé, Christine se tourna vers Perlmutter.

— Eh bien, St. Julien, comme je vous l’ai dit au téléphone, je ne suis toujours pas prête à vendre les trésors de ma famille.

— J’admets que je n’ai jamais cessé de l’espérer, dit Perlmutter, mais j’ai amené Dirk pour une autre raison. Veux-tu montrer à Mme Mender-Husted ce que tu as dans cette boîte ? demanda-t-il en se tournant vers Pitt.

— Christine, dit-elle. Mon nom de jeune fille accolé à mon nom d’épouse c’est trop long à prononcer.

— Avez-vous toujours habité la Virginie ? demanda Pitt en faisant la conversation pendant qu’il ouvrait les ferrures de la caisse où reposait le crâne de la mine Paradise.

— Je descends de six générations de Californiens, dont beaucoup vivent encore à San Francisco et aux alentours. J’ai eu de la chance d’épouser un homme de Virginie, qui a été le conseiller spécial de trois Présidents.

Pitt se tut, captivé par un crâne d’obsidienne noire posé sur le manteau de la cheminée où l’on avait allumé un feu. Puis, lentement, comme en transe, il ouvrit la caisse, souleva son crâne, se leva et alla le poser à côté de son double.

— Oh ! Mon Dieu ! murmura Christine. Je n’aurais jamais imaginé qu’il en existât un autre !

— Moi non plus, dit Pitt en étudiant les deux crânes. D’après ce que je vois ici à l’œil nu, ils sont parfaitement identiques, de forme et de composition. Même les dimensions paraissent égales. Comme s’ils sortaient du même moule.

— Dites-moi, Christine, dit Perlmutter en tenant sa tasse de thé à la main, quelle histoire mystérieuse votre arrière-grand-père vous a-t-il racontée à propos de ce crâne ?

Elle le regarda comme s’il avait posé une question stupide.

— Vous savez aussi bien que moi qu’on l’a trouvé dans un navire gelé appelé le Madras. Il était en route pour Liverpool, venant de Bombay, avec trente-sept passagers, quarante hommes d’équipage, et transportait un chargement de thé, de soie, d’épices et de porcelaines. Mes arrière-grands-parents ont trouvé le crâne dans une pièce remplie d’objets d’art anciens.

— Ce que je voulais savoir, c’est s’ils ont trouvé une explication de la présence de ces objets à bord et surtout, comment ils y sont arrivés.

— Je sais que le crâne et les autres curiosités n’ont pas été chargés à Bombay. L’équipage et les passagers les ont découverts quand ils ont fait escale sur une île déserte pendant le voyage pour trouver de l’eau. Les détails étaient dans le livre de bord.

Pitt hésita, craignant le pire. Il répéta :

— Vous avez dit étaient dans le livre de bord ?

— Le commandant Mender ne l’a pas gardé. Le dernier souhait du commandant du Madras était qu’on l’adresse aux propriétaires du navire. Mon arrière-grand-père l’a donc envoyé par courrier à Liverpool.

Pitt eut l’impression de s’être cogné à un mur de brique au bout d’un cul-de-sac.

— Savez-vous si les propriétaires du Madras ont monté une expédition pour retrouver le navire abandonné et la source des objets ?

— Les propriétaires d’origine, en fait, avaient vendu leur compagnie avant que le commandant Mender envoie le journal, expliqua Christine. La nouvelle direction envoya deux navires pour trouver le Madras, mais tous deux ont disparu corps et biens.

— Alors, tous les registres sont perdus, dit Pitt, découragé.

— Je n’ai jamais dit ça, répondit Christine, l’œil brillant. Il regarda la vieille dame, essayant de lire quelque chose dans ses yeux.

— Mais…

— Mon arrière-grand-mère était une femme très maligne, coupa Christine. Elle a recopié le journal du Madras avant que son mari l’envoie en Angleterre.

Pitt sentit la chaleur regagner ses membres, comme si le soleil avait soudain reparu à travers des nuages noirs.

— Me permettez-vous de le lire ?

Christine ne répondit pas immédiatement. Elle alla jusqu’à un vieux bureau de marin et regarda un tableau accroché au panneau de chêne au-dessus. Il représentait un homme assis sur un fauteuil, les jambes et les bras croisés. Sans la grande barbe qui couvrait son visage, il aurait pu être un bel homme. Il était grand, et son corps et ses épaules remplissaient le fauteuil. La femme debout près de lui, une main sur son épaule, était petite et le regardait intensément de ses yeux bleus. Tous deux portaient des vêtements du dix-neuvième siècle.

— Le commandant Bradford et Roxanna Mender, dit Christine d’une voix rêveuse, perdue dans un passé qu’elle n’avait pas vécu. Elle se tourna et regarda Perlmutter.

— St. Julien, je crois que l’heure est venue. J’ai gardé trop longtemps leurs papiers et leurs lettres, par sentimentalité. Il vaut mieux que leur souvenir soit entretenu par d’autres, capables de lire et de bénéficier de l’histoire qu’ils ont vécue. La collection est à vous pour le prix que vous m’en avez offert.

Perlmutter bondit de sa chaise comme s’il avait un corps d’athlète. Il serra Christine contre lui.

— Merci, chère madame. Je vous promets que tout sera soigneusement préservé et rangé dans les archives, pour les historiens à venir.

Christine s’approcha de Pitt, près de la cheminée.

— Et pour vous, monsieur Pitt, un cadeau. Je remets mon crâne d’obsidienne entre vos mains. Maintenant que vous avez la paire, que comptez-vous en faire ?

— Avant de les confier à un musée d’Histoire ancienne, ils seront étudiés et analysés en laboratoire pour voir si on peut les dater et les relier à une civilisation passée.

Elle contempla longuement sa tête d’obsidienne avant de pousser un profond soupir.

— Je regrette de la voir partir, mais cela m’est plus facile en sachant qu’on en prendra grand soin. Vous savez, les gens qui l’ont vue ont toujours pensé qu’elle annonçait la malchance et la tragédie. Mais depuis le moment où Roxanna l’a transportée, sur la banquise en train de fondre, jusqu’au navire de son mari, elle n’a apporté que chance et bénédiction à la famille Mender.

Sur le chemin du retour à Washington, Pitt lut les pages du journal de bord du Madras copiées sur un cahier à couverture de cuir par la main délicate et légère de Roxanna. Malgré la tenue de route fluide de la Rolls, il dut arrêter sa lecture de temps en temps et regarder par la fenêtre, pour éviter d’avoir mal au cœur.

— As-tu trouvé quelque chose d’intéressant ? demanda Perlmutter tandis que Mulholland passait le pont George Mason, sur le Potomac.

Pitt leva les yeux du journal.

— Je pense bien ! Maintenant, nous savons à peu près où l’équipage du Madras a découvert son crâne. Et beaucoup, beaucoup plus !

12

La Rolls-Royce s’arrêta devant le vieux hangar d’aviation dont Pitt avait fait sa maison, sur la partie déserte de l’aéroport international de Washington. Le hangar semblait décrépi. Il avait été construit en 1936 et paraissait abandonné depuis longtemps. Des herbes folles entouraient les murs couverts de rouille et les fenêtres étaient bouchées par des planches.

Dès que Hugo fut sorti de la voiture, deux hommes lourdement armés, vêtus de treillis de camouflage, firent irruption, mitraillettes pointées. L’un d’eux se pencha par la fenêtre de la voiture tandis que l’autre se tenait devant Mulholland, comme pour le mettre au défi de faire un pas de plus.

— L’un d’entre vous a intérêt à être Dirk Pitt, aboya celui qui regardait la banquette arrière.

— C’est moi, dit Pitt.

Le garde observa un instant son visage.

— Prouvez-le, monsieur. Ce n’était pas une demande, mais un ordre. Pitt montra sa carte de la NUMA. Le garde releva son arme et sourit.

— Désolé de vous avoir embêté mais nous avons ordre de vous protéger, vous et votre propriété.

Pitt supposa que les hommes appartenaient à une agence fédérale de protection peu connue. Leurs agents, triés sur le volet, étaient chargés de veiller sur les employés du gouvernement dont la vie était menacée.

— Je vous remercie de l’intérêt que vous me portez et de votre dévouement.

— Les deux autres messieurs ?

— De bons amis.

Le garde tendit à Pitt une petite alarme télécommandée.

— Veuillez la porter sur vous en permanence pendant que vous serez chez vous. Au moindre signe de danger, appuyez sur le bouton d’appel. Nous répondrons en moins de vingt secondes.

Le garde ne donna pas son nom et Pitt ne le lui demanda pas.

Mulholland avait ouvert le coffre et Pitt en sortit son sac de voyage. Il remarqua alors que les deux gardes avaient disparu. Il regarda autour du hangar et scruta les champs qui bordaient les pistes. Ils auraient pu ne jamais avoir été là. Pitt en conclut qu’ils avaient une cachette souterraine.

— Je vais demander à Hugo d’aller au quartier général de la NUMA pour y déposer tes têtes d’obsidienne, dit Perlmutter. Pitt mit une main sur l’épaule du chauffeur.

— Très doucement, portez-les au laboratoire du sixième étage et remettez-les au scientifique de garde. Il s’appelle Harry Matthews.

Mulholland eut un vague sourire qui, pour qui ne le connaissait pas, aurait pu être pris pour une grimace découvrant ses dents.

— Je ferai de mon mieux pour ne pas les laisser tomber.

— Au revoir, St. Julien, et merci !

— De rien, mon garçon. Viens dîner dès que tu en auras l’occasion.

Pitt regarda la vieille Rolls s’éloigner sur la route de terre battue menant à une grille de sécurité de l’aéroport, soulevant un petit nuage de poussière derrière son pare-chocs arrière. Puis il dirigea les yeux vers un vieux poteau électrique, en haut duquel se trouvait une minuscule caméra de surveillance. Elle lui permettrait peut-être de satisfaire sa curiosité quant à la cachette des gardes dont elle avait dû enregistrer les mouvements.

Avec une petite télécommande, il désactiva le système d’alarme très efficace du hangar et ouvrit une porte qui paraissait ne pas avoir servi depuis la Seconde Guerre mondiale. Il mit son sac sur son épaule et entra. L’intérieur était sombre et à l’épreuve de la poussière. Pas un rai de lumière ne brillait nulle part. Alors il ferma la porte et appuya sur l’interrupteur, illuminant le hangar d’un océan de clartés et d’un éventail de couleurs.

Le sol du hangar, peint d’une couche brillante d’époxy blanc, était recouvert de cinquante vieilles automobiles de collection, d’une myriade de couleurs vives. Cette parade incluait un avion à réaction allemand de la Seconde Guerre mondiale et un trimoteur du début des années 1930, appelé Tin Goose. Un wagon de chemin de fer du début du siècle était posé sur des rails contre un des murs du hangar. Comme placée là pour contenir des pièces de rechange, il y avait aussi une grande baignoire de fonte avec un moteur hors-bord et un curieux radeau gonflable avec un mât et une cabine de fortune. Enfin la collection était gardée par un grand totem indien Haida.

Pitt s’immobilisa pour embrasser du regard sa collection éclectique et les nombreuses plaques publicitaires, véritables pièces de musée, qui pendaient du plafond voûté et parmi lesquelles une réclame pour Burma Shave.

Satisfait de constater que tout était en place, il grimpa l’escalier de fer forgé en spirale menant à son appartement situé au-dessus du hangar.

L’intérieur ressemblait à un musée de la Marine. Des modèles réduits de bateaux dans des vitrines étaient mêlés à des rayons en bois de gouvernails et des cadrans de boussole, des cloches de navires et des casques de scaphandriers, en cuivre et en laiton.

Il alla prendre une douche, dirigeant le jet d’eau brûlante contre un mur de la cabine pendant qu’il s’allongeait sur le dos, les jambes levées dans un des coins. Il se détendit ainsi en buvant un verre de tequila Juan Julio avec des glaçons quand la cloche de bateau annonça la présence d’un visiteur à la porte d’entrée.

Pitt regarda l’un des quatre écrans montés entre deux rayonnages de livres et reconnut le vice-président de la NUMA, Rudi Gunn, attendant sur le seuil. Il appuya un bouton de télécommande et dit :

— Entre, Rudi, je suis en haut.

Gunn monta l’escalier et entra dans l’appartement. Petit, les cheveux rares et le nez romain, Gunn regardait la vie à travers des lunettes à monture d’écaille. Ancien commandant de la Navy et major de l’Académie Navale, Gunn était extrêmement intelligent et respecté de tous au sein de la NUMA. Il avait de grands yeux bleus, encore agrandis par les verres de ses lunettes et une expression un peu ahurie.

— Deux types en tenue camouflée m’ont fichu une trouille d’enfer avant que je prouve que j’étais un de tes amis de la NUMA.

— Une idée de l’amiral Sandecker.

— Je savais qu’il utilisait les services d’agents de sécurité, mais j’ignorais qu’ils avaient des pouvoirs magiques et pouvaient apparaître comme ça, de nulle part. Il ne leur manque qu’un jet de fumée.

— Ils sont très efficaces, reconnut Pitt.

— On m’a briefé sur ton aventure à Telluride, dit Gunn en se laissant tomber dans un fauteuil. On raconte en ville que ta vie ne vaut pas un sou.

Pitt lui apporta un verre de thé glacé. Gunn ne buvait presque jamais d’alcool à part une bière de temps en temps.

— Pas pour ces clowns du Quatrième Empire. Je suppose qu’ils feront tout pour me conduire à la tombe.

— J’ai pris la liberté de regarder sous quelques pierres, dit Gunn avant de boire la moitié de son verre de thé. J’ai rencontré quelques amis de la CI A…

— Quel intérêt la CIA pourrait-elle avoir pour un crime privé ?

— Ils supposent que les tueurs que tu as rencontrés dans la mine Paradise appartiennent à un syndicat criminel international.

— Des terroristes ? Gunn fit non de la tête.

— Ce ne sont ni des religieux, ni les fanatiques d’un culte. Mais leur but est encore secret. Ni les agents de la CIA, ni ceux d’Interpol, personne n’a encore réussi à pénétrer leur organisation. Toutes les agences de renseignements étrangères savent seulement qu’ils existent. Où ils opèrent, qui les contrôle, ils n’en ont pas la moindre idée. Leurs tueurs arrivent, comme ils l’ont fait à Telluride, ils tuent leurs victimes puis ils disparaissent.

— À quels crimes sont-ils mêlés, à part les meurtres ?

— Cela aussi semble être un mystère. Pitt fronça les sourcils.

— Qui a jamais entendu parler d’un syndicat criminel sans intention particulière ? Gunn haussa les épaules.

— Je sais que ça a l’air dingue, mais ils n’ont encore jamais laissé la plus petite piste.

— J’ai deux de ces ordures de Telluride à interroger. Gunn le regarda avec étonnement.

— Tu n’as pas encore appris la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?

— Un certain shérif Eagan, de Telluride, a appelé l’amiral Sandecker il y a une heure. On a retrouvé les prisonniers morts.

— Nom de Dieu ! jura Pitt avec irritation. J’avais pris grand soin de dire au shérif de les fouiller, pour le cas où ils auraient du cyanure sur eux.

— Rien d’aussi banal que le poison. Selon Eagan, une bombe a démoli leurs cellules. Ils ont été hachés menu, en même temps qu’un adjoint du shérif, de garde un peu plus loin.

— La vie ne vaut pas grand-chose pour ces gens, dit Pitt avec amertume.

— C’est ce que j’ai cru comprendre.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

— L’amiral t’envoie sur un projet géologique en grande profondeur, au milieu du Pacifique, où tu seras raisonnablement en sécurité et à l’abri d’autres tentatives d’assassinat.

Pitt fit une grimace.

— Je n’irai pas.

— Je savais que tu dirais ça, dit Gunn en souriant. De plus, tu es trop important pour l’enquête pour qu’on t’envoie dans un bled. Dans l’état actuel des choses, tu risques d’avoir plus de contacts que quiconque avec ce groupe et de vivre assez pour en parler. Les enquêteurs de haut niveau veulent te parler. Huit heures demain matin… (Il tendit à Pitt une feuille de papier.) Sois-y. Entre ta voiture dans le garage et attends les instructions.

— Est-ce que James Bond et Jack Ryan y seront aussi ? Gunn fit à son tour la grimace.

— Très drôle !

Il finit son verre de thé glacé et passa sur le balcon surplombant la fabuleuse collection.

— C’est intéressant, ça.

— Quoi ?

— Tu parles des assassins comme s’ils appartenaient au Quatrième Empire.

— C’est leur définition, pas la mienne.

— Les nazis appelaient leur hideux paradis le Troisième Reich.

— La plupart des vieux nazis sont morts, grâce à Dieu, dit Pitt. Et le Troisième Reich est mort avec eux.

— As-tu jamais pris des cours d’allemand ? demanda Gunn.

— Les seuls mots que je connaisse sont ja, nein et Auf Wiedersehen,

— Alors, tu ignores que l’anglais pour « Troisième Reich » c’est « Troisième Empire » ? Pitt se raidit.

— Tu ne veux pas insinuer qu’il s’agit d’une bande de néonazis ?

Gunn allait répondre quand une grande explosion se fit entendre, comme le son d’un chasseur à réaction utilisant sa postcombustion. Elle fut immédiatement suivie par un bruit de métal déchiré à faire éclater les tympans et l’éclair d’une flamme rouge qui traversa le garage, avant de disparaître à travers le mur opposé. Deux secondes après, une autre explosion secoua le hangar et le balcon de fer forgé. De la poussière tomba du toit de tôle et se posa sur les voitures brillantes, ternissant leurs peintures vives. Un silence surnaturel suivit le grondement de l’explosion.

Puis on entendit le crépitement d’armes automatiques, suivi d’un bruit violent, mais plus étouffé. Les deux hommes restèrent immobiles, pétrifiés, agrippant la rampe du balcon.

Pitt fut le premier à récupérer sa voix.

— Les salauds ! siffla-t-il.

— Mais qu’est-ce que c’était que ça ? demanda Gunn, choqué.

— Maudits soient-ils ! Ils ont tiré un missile dans mon hangar. La seule chose qui nous a sauvés d’être réduits en bouillie, c’est qu’il n’a pas explosé ici. La tête est passée à travers l’un des murs minces et rouillés et est sortie par un autre sans que le détonateur ait heurté un pilier de métal.

La porte s’ouvrit à la volée et les deux gardes se précipitèrent dans le hangar, s’arrêtant au pied de l’escalier métallique.

— Êtes-vous blessés ? demanda l’un d’eux.

— Je crois que le mot juste est « secoués », dit Pitt. D’où est-ce arrivé ?

— Une roquette tirée d’un hélicoptère, répondit le garde. Désolé de l’avoir laissé s’approcher aussi près. Nous nous sommes fait avoir par son logo – il indiquait une station locale de télévision. Nous avons bien tiré, cependant, et on l’a descendu. Il s’est écrasé dans la rivière.

— Beau travail, dit sincèrement Pitt.

— Vos amis ne regardent pas à la dépense, hein ?

— On dirait, en effet, qu’ils ont du fric à perdre. Le garde se tourna vers son partenaire.

— Nous allons agrandir notre périmètre. Y a-t-il des dommages ? demanda-t-il à Pitt en regardant autour de lui.

— Juste deux trous dans les murs, assez gros pour y passer des cerfs-volants.

— Nous allons les faire réparer immédiatement. Rien d’autre ?

— Si, dit Pitt, plus furieux à mesure qu’il découvrait le revêtement de poussière sur ses voitures de luxe. Appelez une équipe de nettoyage.

— Tu devrais peut-être reconsidérer ce projet dans le Pacifique ? dit Gunn. Pitt ne parut pas entendre.

— Quatrième Reich, Quatrième Empire, quels qu’ils soient, ils viennent de faire une très sérieuse erreur.

— Oh ? dit Gunn en regardant ses mains tremblantes comme si elles appartenaient à un autre. Laquelle ?

Pitt considérait les trous béants dans les murs du hangar. Une lueur froide et malveillante faisait briller ses yeux vert opaline, une malveillance que Gunn n’avait vue qu’en de rares occasions. Il frissonna involontairement.

— Jusqu’à présent, les méchants se sont bien amusés, dit Pitt, la bouche tordue en un sourire dur. Maintenant, c’est mon tour.

13

Pitt regarda les bandes de sa caméra de surveillance avant d’aller se coucher et vit que les gardes avaient bien fait leur travail. En utilisant des cartes du système de drainage souterrain de l’aéroport, ils avaient trouvé un gros tuyau de 2,40 mètres de diamètre utilisé pour évacuer l’eau de pluie et la neige fondue des pistes, aires de stationnement et terminaux. Le tuyau de drainage passait à 25 mètres du hangar de Pitt. Dans un accès de maintenance – caché par les hautes herbes –, ils avaient installé un poste d’observation bien camouflé. Pitt pensa un moment aller leur offrir du café et des sandwiches, mais il y renonça. La dernière chose à faire était de compromettre leur couverture de surveillance.

Il venait de finir de s’habiller et de déjeuner rapidement quand un camion chargé de matériel de réparation pour les trous du hangar s’arrêta sur la route, devant chez lui. Une camionnette sans marques extérieures se gara derrière et plusieurs femmes en combinaisons de travail en descendirent. Les gardes de sécurité ne révélèrent pas leur présence, mais Pitt savait qu’ils surveillaient la scène. L’un des ouvriers marcha vers lui.

— Monsieur Pitt ?

— Oui.

— Nous allons entrer, faire les réparations, nettoyer et repartir, aussi vite que possible.

Pitt regarda avec admiration les hommes décharger de vieilles tôles rouillées, ressemblant à celles de son hangar.

— Où avez-vous trouvé ça ? demanda-t-il en les montrant du doigt.

— Vous seriez surpris d’apprendre combien le gouvernement garde la trace des vieux matériaux de construction, dit l’ouvrier. Ce que vous voyez là vient du toit d’un vieil entrepôt de Capital Heights.

— Notre gouvernement est plus efficace que je ne le croyais.

Il les laissa travailler et allait se mettre au volant d’une Jeep Cherokee turquoise de la NUMA quand une Corvette Sting Ray noire au pare-brise mobile s’arrêta sur la route. Giordino passa la tête par la fenêtre côté passager et cria :

— Tu as besoin d’un chauffeur ?

Pitt courut vers lui et sauta dans la voiture, pliant les jambes en s’installant sur le siège de cuir.

— Tu ne m’avais pas dit que tu viendrais ici ?

— On m’a demandé d’être en même temps que toi à huit heures pile. J’ai pensé que nous pourrions faire la route ensemble.

— Tu es génial, Al, dit joyeusement Pitt. Et je me fiche de ce qu’on peut dire de toi !

Giordino quitta Wisconsin Avenue pour emprunter une petite rue résidentielle dans Glover Park, près de l’Observatoire de la Marine. La rue, occupée par un seul long immeuble, était ombragée par des ormes centenaires. À part l’unique maison cachée par de hautes haies, le bloc était vide. Aucune voiture garée, personne sur les trottoirs.

— Tu es sûr que nous n’avons pas pris un mauvais tournant ? demanda Giordino.

— Nous sommes dans la bonne rue et, puisque cette maison est la seule, ce doit être là.

Giordino tourna dans la seconde entrée d’une allée circulaire, mais alla droit devant lui jusqu’à l’arrière de la maison au lieu de s’arrêter devant la porte cochère. Pitt étudia l’immeuble de brique de trois étages tandis que Giordino tournait pour s’engager dans un garage détaché à l’arrière. La maison semblait avoir été construite pour un personnage important et riche, un peu après la guerre de Sécession. Le terrain et la maison étaient remarquablement entretenus, mais les rideaux étaient tous tirés, comme si les locataires étaient partis pour un certain temps.

La Corvette entra dans le garage dont la porte à deux battants était grande ouverte. L’intérieur était vide, avec seulement quelques outils de jardinage éparpillés, une tondeuse à gazon et un établi qui paraissait ne pas avoir été utilisé depuis des dizaines d’années. Giordino arrêta le moteur, mit le frein à main et se tourna vers Pitt.

— Bon. Et maintenant ?

La réponse vint quand les portes automatiques se fermèrent. Quelques secondes plus tard, la voiture tombée dans un garage-ascenseur commença à descendre lentement. À part le ronronnement à peine audible, la descente se fit sans bruit. Pitt essaya d’estimer la profondeur et la vitesse, mais l’obscurité se fit. Après ce qu’il pensa être une trentaine de mètres, l’ascenseur s’arrêta sans à-coup. Une batterie de lumières s’alluma et ils se trouvèrent dans un garage en béton de bonne taille, où étaient rangées plusieurs voitures. Giordino gara la Corvette dans un box vide, entre une Jeep Cherokee turquoise avec « NUMA » peint sur les portières avant et une limousine Chrysler. La Jeep, ils le savaient, était celle de l’amiral Sandecker. Il exigeait que tous les véhicules de transport de la NUMA soient des utilitaires à quatre roues motrices, pouvant être conduites par tous les temps. Un garde de la Marine se tenait à l’entrée, devant une porte de métal.

— Je suppose que la voiture est à l’abri, ici, dit Giordino faussement sérieux, ou bien dois-je la verrouiller ?

— Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas l’impression qu’elle bougera beaucoup.

Ils sortirent du véhicule et s’approchèrent du garde qui portait, sur les manches, les trois galons de sergent. Il hocha la tête et les salua.

— Vous devez être Dirk Pitt et Albert Giordino. Vous êtes les derniers à arriver.

— Vous ne nous demandez pas nos cartes ? demanda Giordino. Le garde sourit.

— J’ai étudié vos photos. Savoir qui est qui est aussi facile que de comparer Joe Pesci à Clint Eastwood. Vous n’êtes pas difficiles à reconnaître.

Il pressa un bouton qui fit glisser la porte, révélant un petit hall menant à une autre porte métallique.

— Quand vous atteindrez la porte intérieure, restez immobiles un moment pour que le garde, de l’autre côté, vous identifie avec une caméra de surveillance.

— Il ne fait pas confiance à votre jugement ? demanda Giordino. Cette fois, le garde ne sourit pas.

— Sécurité, dit-il laconiquement.

— N’en font-ils pas un peu trop avec cette exagération de sécurité ? marmonna Giordino. On aurait tout aussi bien pu réserver une petite salle au Taco Bell pour tenir cette réunion.

— Les bureaucrates ont la manie du secret, dit Pitt.

— J’aurais au moins pu boire un petit verre.

En passant la porte, ils étaient entrés dans une vaste pièce moquettée, aux murs couverts de draperies pour étouffer les sons. Une table de conférence de six mètres de long, en forme de haricot, occupait presque toute la salle et un énorme écran couvrait le mur du fond. La lumière confortable ne blessait pas les yeux. Plusieurs personnes, hommes et femmes, étaient déjà assis autour de la table. Ils ne se levèrent pas à l’approche de Pitt et de Giordino.

— Vous êtes en retard, constata l’amiral Sandecker, le chef de la NUMA.

Homme athlétique aux cheveux d’un roux flamboyant et une barbe à la Van Dyck, il avait un regard bleu impérieux, auquel rien n’échappait. Il était aussi rusé qu’un léopard dormant dans un arbre avec un œil ouvert – sachant qu’un repas passerait tôt ou tard à sa portée. Il était irritable et irascible, mais dirigeait la NUMA comme un dictateur bienveillant. Il désigna un homme assis à sa gauche.

— Je ne crois pas que vous connaissiez Ken Helm, agent spécial du FBI.

Un homme aux cheveux gris, vêtu d’un costume bien coupé d’homme d’affaires, aux yeux noisette observateurs et calmes regardant par-dessus des lunettes, se leva à demi de son fauteuil et tendit la main.

— Monsieur Pitt, monsieur Giordino, j’ai beaucoup entendu parler de vous.

« Ce qui signifie qu’il a lu attentivement nos dossiers personnels », pensa Pitt.

Sandecker se tourna vers l’homme assis à sa droite.

— Et voici Ron Little. Ron a un titre ronflant à la CIA, mais vous ne le connaîtrez jamais.

Pitt pensa « vice-président » en regardant Little. L’homme le regardait avec des yeux de colley, dans un visage profondément ridé -un visage monacal, moyenâgeux, un visage creusé par l’expérience. Il se contenta d’un salut de la tête.

— Messieurs.

— Vous connaissez les autres, dit Sandecker en montrant le reste des participants.

Rudi Gunn prenait furieusement des notes et ne se donna pas la peine de lever la tête. Pitt s’avança et mit la main sur l’épaule de Pat.

— Plus tôt que vous ne le pensiez, hein ?

— J’adore les hommes qui tiennent leurs promesses.

Elle lui tapota la main sans se soucier des regards autour de la table.

— Venez vous asseoir près de moi. Je me sens intimidée par tous ces importants fonctionnaires du gouvernement.

— Je peux vous assurer, docteur O’Connell, dit Sandecker, que vous ressortirez de cette pièce sans avoir perdu un seul cheveu.

Pitt tira un siège et se glissa près de Pat tandis que Giordino prenait place près de Gunn.

— Al et moi avons-nous manqué quelque chose d’important ? demanda Pitt.

— Le Dr O’Connell nous a parlé du crâne et de la crypte souterraine, dit Sandecker, et Ken Helm était sur le point de nous expliquer les premiers résultats de l’examen médico-légal des corps de Telluride.

— Il n’y a pas grand-chose à en dire, déclara Helm. Il s’est révélé difficile de faire une identification positive d’après les dents. Les examens préliminaires suggèrent que leurs soins dentaires ont été faits par des dentistes sud-américains.

— Vous pouvez vraiment voir les différences des techniques dentaires entre un pays et un autre ?

— Un bon expert médico-légal est souvent capable de dire dans quelle ville les cavités ont été bouchées.

— Donc, ils étaient bien étrangers, observa Giordino.

— J’ai trouvé leur anglais un peu bizarre, dit Pitt. Helm regarda par-dessus ses lunettes.

— Vous avez remarqué ?

— Trop parfait et sans trace d’accent américain, bien que deux d’entre eux aient employé des mots d’argot de Nouvelle-Angleterre. Little griffonna sur un bloc de papier jaune.

— Monsieur Pitt, le commandant Gunn nous a appris que les meurtriers que vous avez appréhendés à Telluride se sont désignés comme membres du Quatrième Empire ?

— Ils ont aussi parlé de ce Quatrième Empire comme étant la Nouvelle Destinée.

— Comme vous-même et le commandant Gunn l’avez déjà supposé, le Quatrième Empire pourrait être le successeur du Troisième Reich.

— Tout est possible.

Giordino tira un énorme cigare de sa poche de poitrine et le roula autour de sa bouche sans l’allumer, afin de ne pas déranger les gens réunis autour de la table qui ne fumaient pas. Sandecker lui adressa un regard meurtrier en voyant que la marque était celle de sa réserve personnelle.

— Je ne suis pas un homme intelligent, dit modestement Giordino. (Cette modestie était un peu celle d’un comédien. Giordino était sorti troisième de l’Académie de l’Air Force.) Mais je ne vois absolument pas comment une organisation, pourvue d’une armée de tueurs d’élite dans tous les pays du monde, pourrait agir pendant des années sans que les meilleurs services de renseignements du monde sachent qui elle est ni quel but elle poursuit.

— Je suis le premier à admettre que nous sommes dans une impasse, dit franchement Helm, du FBI. Ce que je peux dire, c’est que les crimes sans motifs sont les plus difficiles à résoudre.

Little fit signe qu’il était d’accord.

— Jusqu’à votre confrontation avec ces hommes, à Telluride, quiconque les a rencontrés n’a pas vécu assez longtemps pour raconter l’événement.

— Grâce à Dirk et au Dr O’Connell, dit Gunn, nous avons maintenant une piste à suivre.

— Quelques dents brûlées ne font pas une piste sérieuse, remarqua Sandecker.

— C’est vrai, admit Helm, mais il y a l’énigme de cette crypte dans la mine Paradise. S’ils vont aussi loin pour empêcher les scientifiques d’étudier les inscriptions, tuent des innocents et se suicident lorsqu’ils sont capturés – eh bien, ils doivent avoir un motif puissant.

— Les inscriptions, dit Pitt. Pourquoi déployer tant d’efforts pour cacher leur signification ?

— Il est curieux qu’une découverte archéologique banale puisse coûter autant de vies, remarqua Sandecker.

— On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une découverte banale, intervint Pat. S’il ne s’agit pas d’un canular fabriqué par des mineurs, il pourrait s’agir de la plus grande découverte archéologique du siècle.

— Avez-vous pu déchiffrer certains symboles ? demanda Pitt.

— Après un rapide examen de mes notes, tout ce que je peux vous dire, c’est que ces symboles sont alphabétiques. Je veux dire qu’ils expriment des sons individuels. Notre alphabet, par exemple, utilise trente-six symboles. Les symboles de la crypte suggèrent un alphabet de trente signes, dont douze symboles représentant des chiffres, que j’ai réussi à traduire comme étant un système mathématique avancé. Quoi qu’aient pu être ces gens, ils avaient découvert le zéro et calculaient avec le même nombre de symboles que l’homme moderne. Tant que je n’aurai pas pu les programmer dans un ordinateur et les étudier dans leur ensemble, je ne pourrai vous en dire davantage.

— Il me semble que vous avez fait un excellent travail en peu de temps avec le peu de moyens dont vous disposiez, la complimenta Helm.

— Je suis sûre de pouvoir percer le mystère des inscriptions. Contrairement aux systèmes d’écriture logosyllabique compliqués des Égyptiens, des Chinois et des Cretois, encore non déchiffrés, celui-ci semble unique par sa simplicité.

— Pensez-vous que le crâne d’obsidienne trouvé dans la crypte ait un lien avec les inscriptions ? demanda Gunn.

— Je n’en ai pas la moindre idée, dit Pat. Comme les crânes de cristal découverts au Mexique et au Tibet, il doit avoir une fonction rituelle. Certaines personnes – des archéologues non reconnus, pourrais-je préciser – pensent que les crânes de cristal étaient au nombre de treize et permettaient de produire des vibrations que l’on pouvait projeter en images holographiques.

— Et vous y croyez ? demanda sérieusement Little.

— Non, dit Pat en riant, je suis trop pragmatique. Je préfère avoir des preuves solides avant d’énoncer des théories extravagantes. Little la considéra pensivement.

— Croyez-vous que le crâne d’obsidienne…

— Les crânes, corrigea Pitt. Pat lui lança un regard étonné.

— Depuis quand en avons-nous plus d’un ?

— Depuis hier après-midi. Grâce à un bon ami, St. Julien Perlmutter, j’en ai obtenu un autre. Sandecker le regarda intensément.

— Où est-il maintenant ?

— Avec celui de Telluride, on l’a confié au laboratoire chimique de la NUMA pour analyse. On ne peut évidemment pas dater l’obsidienne par des moyens conventionnels, mais une étude instrumentale pourrait nous apprendre quelque chose sur ceux qui les ont créés.

— Savez-vous d’où venait celui que vous avez eu hier ? demanda Pat, brûlante de curiosité.

Sans donner tous les détails fastidieux, Pitt décrivit en quelques mots comment le crâne avait été découvert sur le Madras abandonné, par l’équipage du Paloverde en Antarctique. Il leur raconta sa rencontre et sa conversation avec Christine Mender-Husted et comment elle lui avait aimablement offert le crâne noir après avoir accepté l’offre de Perlmutter concernant les papiers de ses ancêtres.

— A-t-elle dit où l’équipage et les passagers du Madras avaient découvert le crâne ?

Pitt mit ses auditeurs au supplice en prenant son temps pour répondre.

— Selon le journal de bord du navire, le Madras allait de Bombay à Liverpool quand il fut frappé par un violent ouragan…

— Un cyclone, le reprit Sandecker. Pour un marin, un ouragan ne survient que dans les océans Atlantique et Pacifique-Est. Les typhons sont dans le Pacifique-Ouest et les cyclones dans l’océan Indien.

— Merci pour la leçon, soupira Pitt.

L’amiral Sandecker adorait étaler son inépuisable réserve de fadaises maritimes.

— Comme je le disais, reprit Pitt, le Madras rencontra un violent orage et une mer très grosse pendant près de deux semaines. Il fut maltraité et poussé au sud de sa route prévue. Quand les vents et la mer se calmèrent enfin, ils découvrirent que les tonneaux contenant leurs provisions d’eau avaient été abîmés et qu’ils n’avaient presque plus rien à boire. Le commandant consulta alors ses cartes et prit la décision de s’arrêter sur l’une des îles d’un petit archipel désolé dans l’océan Indien subantarctique. On les connaît maintenant sous le nom d’archipel Crozet, un minuscule territoire d’outre-mer appartenant à la France. Il lâcha l’ancre au large de la petite île Saint-Paul, très découpée, avec une montagne volcanique au centre. Pendant que l’équipage réparait les barriques et commençait à les remplir dans un cours d’eau, l’un des passagers, un colonel de l’armée anglaise, qui rentrait chez lui avec sa femme et ses deux filles après avoir servi dix ans aux Indes, décida d’aller voir s’il trouvait du gibier.

Le seul gibier de l’île consistait en éléphants de mer et en pingouins, mais le colonel, dans son ignorance, pensa qu’il y avait peut-être aussi du gibier à quatre pattes. Après avoir gravi sur environ 250 mètres la montagne, lui et ses amis arrivèrent devant un chemin pavé de pierres usées par l’âge. Ils le suivirent jusqu’à une ouverture creusée en forme d’arche dans le rocher. Ils entrèrent et aperçurent un passage qui s’enfonçait dans la montagne.

— Je me demande si quelqu’un a trouvé et exploré cette entrée depuis, interrompit Gunn.

— C’est possible, admit Pitt. Hiram Yaeger l’a vérifié pour moi. À part une station météorologique automatique installée par les Australiens entre 1978 et 1997 et gérée par satellite, l’île est restée totalement inhabitée. Si les météorologues ont trouvé quelque chose dans la montagne, ils n’en ont jamais parlé. Tous les rapports sont purement météorologiques.

Little était penché sur la table, fasciné.

— Alors ? Que s’est-il passé ?

— Le colonel a renvoyé un de ses copains au navire. Il en est revenu avec des lanternes. Ce n’est qu’alors qu’ils s’y sont aventurés. Ils ont vu que le passage était soigneusement creusé dans le rocher, que ses murs étaient lisses et qu’il descendait en pente douce sur environ trente mètres. Il se terminait par une petite chambre emplie de dizaines de sculptures étranges et apparemment anciennes. La suite de leur récit décrit des inscriptions illisibles gravées sur les murs et le plafond de la chambre.

— Ont-ils recopié les inscriptions ? demanda Pat.

— Il n’y avait aucun symbole dans le livre de bord du commandant. Le seul dessin était une carte grossière de l’entrée de la grotte.

— Et les objets ? questionna Sandecker.

— Ils sont toujours à bord du Madras, expliqua Pitt. Roxanna Mender, l’épouse du commandant du baleinier, en fait mention dans un bref chapitre de son propre journal. Elle dit que l’un d’eux était une urne en argent. Les autres étaient en bronze et en terre cuite, et représentaient des animaux étranges qu’elle dit n’avoir jamais vus avant. Conformément aux lois du sauvetage, son mari et l’équipage avaient l’intention de dépouiller le Madras de tout objet de valeur, mais la banquise qui commençait à fondre les obligea à regagner au plus vite le baleinier. Ils n’emportèrent que le crâne d’obsidienne.

— Une autre crypte, mais cette fois avec des objets, dit Pat, le regard perdu. Je me demande combien d’autres sont cachées de par le monde…

Sandecker jeta un regard irrité à Giordino qui mâchouillait son énorme cigare.

— Il semble que notre tâche soit toute tracée. Il quitta Giordino des yeux et les posa sur Gunn.

— Rudi, dès que vous pourrez, préparez deux expéditions. L’une pour rechercher le Madras dans l’Antarctique, l’autre pour retrouver la grotte découverte par les passagers du navire sur l’île Saint-Paul.

Il se tourna vers les hommes assis plus loin autour de la grande table.

— Dirk, vous dirigerez les recherches du navire abandonné. Al, vous irez à Saint-Paul. Giordino était assis nonchalamment dans son fauteuil.

— J’espère que nos petits copains assoiffés de sang n’auront pas eu l’idée de faire la même chose avant nous.

— Tu le sauras dès que tu y seras, dit Gunn d’un air sérieux.

— Pendant ce temps, intervint Helm, je vais mettre deux agents en chasse dans tous les États-Unis pour chercher des pistes menant à l’organisation qui a engagé les tueurs.

— Je dois vous dire, amiral, dit Little à Sandecker, que cela n’est pas une mission prioritaire pour la CIA. Mais je ferai mon possible pour trouver les pièces du puzzle. Mes hommes se concentreront sur les syndicats internationaux hors des États-Unis qui participent ou pourraient participer aux recherches archéologiques. Nous enquêterons aussi sur toutes les découvertes liées à des meurtres. Votre dernière suggestion évoquant la possibilité d’un ordre néonazi se révélera peut-être très utile.

— Dernier point, mais non le moindre, nous en arrivons à la charmante dame ici présente, dit Sandecker.

Il n’était pas condescendant, c’était ainsi qu’il s’adressait à la plupart des femmes.

Pat sourit, habituée à voir les regards des hommes se poser sur elle.

— Mon travail, bien sûr, est de déchiffrer les inscriptions.

— On a dû tirer les photos prises par les tueurs, maintenant, dit Gunn.

— J’aurais besoin d’un endroit pour travailler, dit-elle pensivement. Puisque je ne dois pas me montrer pour le moment, je ne peux pas aller dans mon bureau de l’université de Pennsylvanie pour lancer un programme d’analyse.

Sandecker sourit.

— Entre Ron, Ken et moi-même, nous pouvons mettre à votre disposition au moins trois laboratoires et des techniciens parmi les plus performants du monde. Vous n’avez qu’à choisir.

— Si je peux donner mon avis, amiral, dit Pitt sans chercher à masquer sa partialité, du fait de l’implication ininterrompue de la NUMA dans l’affaire des cryptes et de leur contenu, il serait peut-être plus pratique pour le Dr O’Connell de travailler avec Hiram Yaeger, dans notre unité informatique.

Sandecker essaya de se faire une idée de ce qui se passait dans l’esprit rusé de Pitt. Ne trouvant rien, il haussa les épaules.

— À vous de décider, docteur.

— Je crois que M. Pitt a raison. En restant proche de la NUMA, je pourrai être en communication presque continue avec les expéditions.

— Comme vous voudrez. Je mettrai Yaeger et Max à votre disposition.

— Max ?

— Le dernier jouet de Yaeger, répondit Pitt. Un système informatique d’intelligence artificielle qui se présente sous forme d’images holographiques.

Pat émit un grand soupir.

— J’aurai besoin de toutes les aides techniques, même les plus exotiques, que je pourrai trouver.

— Ne vous inquiétez pas, dit Giordino avec un détachement plein d’humour. Si les inscriptions sont vraiment antiques, elles ne nous indiqueront sans doute rien de plus que des recettes de cuisine ancienne.

— Des recettes de quoi ? demanda Helm.

— De chèvre, lâcha Giordino d’un air maussade. Mille et une façons d’accommoder la chèvre.

14

Pardonnez-moi de vous le demander, mais êtes-vous Hiram Yaeger ? Poussée par l’enthousiasme, Pat avait entièrement parcouru le vaste réseau informatique qui occupait tout le dixième étage de l’immeuble de la NUMA. Elle avait entendu les informaticiens de l’université de Pennsylvanie parler avec admiration du centre de données sur les océans de l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine. Il était reconnu que ce centre possédait et engrangeait la plus énorme quantité de données numériques sur l’océanographie jamais rassemblée sous un seul toit.

L’homme à l’apparence négligée assis devant une console en fer à cheval enleva ses lunettes cerclées de métal pour regarder la femme qui se tenait à la porte de son saint des saints.

— Je suis Yaeger. Et vous devez être le Dr O’Connell. L’amiral m’a prévenu que vous veniez ce matin.

Le cerveau responsable de cet incroyable étalage d’informations ne correspondait pas à l’image qu’elle s’était faite de lui. Qui sait pourquoi, Pat pensait que Yaeger devait être un croisement entre Bill Gates et Albert Einstein. Il ne ressemblait ni à l’un ni à l’autre. Vêtu d’un pantalon et d’une veste en Jean sur un t-shirt d’un blanc immaculé, il était chaussé de bottes de cow-boy qui semblaient avoir participé à d’innombrables rodéos. Ses cheveux étaient gris foncé et longs et il les portait en queue de cheval. Il avait un visage enfantin, rasé de près, un nez étroit et des yeux gris.

Pat aurait été surprise d’apprendre que Yaeger habitait un quartier résidentiel du Maryland, qu’il avait épousé une artiste célèbre pour ses peintures animalières et qu’il avait deux filles adolescentes qui fréquentaient une école privée très chic. Son seul passe-temps était de collectionner et de réparer de vieux ordinateurs obsolètes.

— J’espère que je n’interromps pas quelque chose d’important, dit Pat.

— Personne ne vous a accueillie à la sortie de l’ascenseur pour vous montrer mon domaine ?

— Non, je me suis juste promenée un peu partout jusqu’à ce que je trouve quelqu’un ne ressemblant pas à Dilbert

Yaeger, fan du personnage de bande dessinée créé par Scott Adams, éclata de rire.

— Je suppose que je dois prendre ça comme un compliment. Je suis désolé de n’avoir envoyé personne pour vous accueillir.

— Ne vous inquiétez pas. Je me suis renseignée toute seule. Votre empire informatique est magnifique. Ça ne ressemble en rien à l’équipement avec lequel je travaille à l’université.

— Puis-je vous offrir une tasse de café ?

— Non, merci, ça va. On se met au travail ?

— Comme vous voulez, répondit poliment Yaeger.

— Avez-vous les photos prises dans la crypte ?

— Le labo de développement les a envoyées hier soir. Je suis resté pour les scanner dans Max.

— Dirk m’a parlé de Max. Je suis impatiente de le voir. Yaeger tira une chaise près de la sienne, mais ne l’offrit pas immédiatement à Pat.

— Si vous voulez bien contourner la console et vous tenir au milieu de la plate-forme devant nous, je vais vous montrer les talents uniques de Max.

Pat marcha jusqu’à la plate-forme et se tint au centre, regardant Yaeger. Tandis qu’elle le fixait, le génie des ordinateurs sembla se brouiller devant ses yeux et disparut. Elle se retrouva entourée de ce qui, elle aurait pu le jurer, était une sorte de clôture nébuleuse. Puis les murs et le plafond redevinrent distincts et elle se trouva debout dans une réplique exacte de la crypte. Elle dut se répéter que c’était une illusion holographique, cela semblait si réel, surtout quand les inscriptions commencèrent à se former sur les murs avec une clarté bien définie.

— C’est fantastique ! murmura-t-elle.

— Max a programmé tous les symboles des photographies dans sa mémoire, mais, bien que nous ayons un moniteur de la taille d’un petit écran de cinéma, j’ai pensé qu’il vous serait plus utile de lire les lignes d’inscriptions dans leur perspective d’origine.

— Oui ! Oui ! dit Pat, de plus en plus excitée. Ça m’aidera beaucoup d’étudier tout le texte d’un seul regard. Merci, et merci à Max.

— Revenez, je vais vous présenter Max, fit la voix de Yaeger derrière la crypte illusoire. Puis nous nous mettrons au travail.

Pat allait dire « je ne peux pas » parce que la crypte paraissait très réelle. Mais elle brisa l’illusion en passant à travers le mur comme si elle était un fantôme, et rejoignit Yaeger derrière sa console.

— Max, dit Yaeger, je te présente le Dr Pat O’Connell.

— Comment allez-vous ? dit une douce voix. Pat jeta à Yaeger un regard suspicieux.

— Max est une femme !

— J’avais programmé ma propre voix à l’origine. Mais j’y ai apporté quelques modifications depuis et j’ai décidé que je préférais écouter une voix féminine.

— Elle est activée à la voix ? Yaeger sourit.

— Max est un système d’intelligence artificielle. Pas de bouton à pousser. Vous lui parlez comme vous le feriez à une personne normale.

Pat regarda autour d’elle.

— Y a-t-il un micro ?

— Il y en a six. Mais ils sont miniaturisés et vous ne pourrez pas les voir. Vous pouvez lui parler jusqu’à 6 mètres de distance. Avec appréhension, Pat se lança.

— Max ?

Sur l’immense écran au-delà de la plate-forme apparut un visage de femme. Elle regardait Pat en couleurs vives. Elle avait des yeux topaze foncé et des cheveux d’un auburn brillant. Sa bouche souriait, découvrant des dents blanches et régulières. Ses épaules étaient nues jusqu’en haut des seins, dont on apercevait la naissance tout en bas de l’écran.

— Bonjour, docteur O’Connell, je suis ravie de vous connaître.

— Appelez-moi Pat.

— D’accord.

— Elle est ravissante, dit Pat, admirative.

— Merci, répondit Yaeger en souriant. En fait, elle s’appelle Elsie et c’est ma femme.

— Et vous travaillez bien ensemble ? plaisanta Pat.

— La plupart du temps. Mais si je ne fais pas attention, elle peut devenir aussi râleuse et grognon que l’original.

— OK, allons-y ! murmura Pat entre ses dents. Max, avez-vous analysé les symboles scannés dans votre système ?

— Oui, dit Max d’une voix tout à fait humaine.

— Avez-vous pu déchiffrer et traduire certains de ces symboles en alphabet anglais ?

— Je n’ai encore travaillé qu’en surface, mais j’ai déjà bien avancé. Les inscriptions sur le plafond de la crypte semblent représenter une carte du ciel.

— Explique-toi, ordonna Yaeger.

— Je les vois comme un système coordonné très élaboré, utilisé en astronomie pour prévoir la position des objets célestes dans le ciel. Je pense que ça pourrait suggérer des changements dans les déclinaisons des étoiles visibles dans le ciel au-dessus d’un endroit particulier du monde au cours des époques passées.

— Ce qui veut dire qu’à cause des déviations de la rotation de la terre, les étoiles semblent changer de position à mesure que le temps passe.

— Oui. Les termes scientifiques sont précession et nutation, reprit Max. Parce que la terre se bombe autour de l’équateur du fait de sa rotation, la traction gravitationnelle du soleil et de la lune est plus lourde autour de l’équateur et cause une légère oscillation de l’axe de rotation de la terre. Vous pouvez voir le même phénomène sur une toupie, provoqué par la gravité. On appelle cela la précession et elle trace un cône circulaire dans l’espace tous les 25800 ans. La nutation, ou inclinaison, est un mouvement peu ample, mais irrégulier qui balance le pôle céleste à 10 secondes du cercle précessionnel régulier tous les dix-huit ans et demi.

— Je sais que, à un moment donné, dans un avenir lointain, dit Pat, l’étoile Polaire ne sera plus l’étoile du Nord.

— Exactement, concéda Max. Tandis que l’étoile Polaire glissera au loin, une autre étoile viendra prendre position au-dessus du pôle Nord, dans environ 345 ans. Cent ans avant Jésus-Christ, l’équinoxe vernal – excusez-moi, connaissez-vous l’équinoxe vernal ?

— Si je me souviens de l’astronomie que j’ai apprise au lycée, dit Pat, l’équinoxe vernal est le moment où le soleil croise l’équateur céleste à l’équinoxe de printemps, créant une direction de référence pour des distances angulaires telles que mesurées depuis l’équateur.

— Très bien, la complimenta Max. Si un professeur explique ça comme ça, il risque d’endormir sa classe. De toute façon, avant Jésus-Christ, l’équinoxe vernal est passé dans la constellation du Bélier. À cause de la précession, l’équinoxe vernal est maintenant dans les Poissons et avance vers le Verseau.

— Si je comprends bien ce que vous dites, dit Pat, la poitrine gonflée par l’enthousiasme, les symboles célestes dans la crypte coordonnent les systèmes solaires du passé ?

— C’est ainsi que je les vois, dit Max, impassible.

— Est-ce que les Anciens avaient les connaissances scientifiques nécessaires pour faire des projections aussi précises ?

— J’ai découvert que celui qui a gravé cette carte céleste sur le plafond de la grotte en savait plus que les astronomes d’il y a quelques centaines d’années. Il a calculé correctement que la galaxie céleste est fixe et que le soleil, la lune et les planètes tournent. La carte montre les orbites des planètes, y compris Pluton qui ne fut découverte qu’au siècle dernier. Ils avaient découvert que les étoiles Bételgeuse, Sirius et Procyon restent en position permanente tandis que les autres constellations bougent imperceptiblement en quelques milliers d’années. Croyez-moi, ces Anciens connaissaient leur affaire dans le domaine des étoiles.

Pat regarda Yaeger.

— Si Max peut déchiffrer les coordonnées des étoiles telles qu’elles sont gravées dans la crypte à sa construction, nous pourrons dater cette construction, non ?

— Ça vaut le coup d’essayer.

— J’ai déchiffré une petite partie du système numérique, dit Pat. Est-ce que ça pourrait aider Max ?

— Vous n’auriez pas dû prendre cette peine. J’ai déjà interprété le système numérique. Je le trouve très ingénieux malgré sa simplicité. Je suis impatiente de me mettre à l’étude des inscriptions qui constituent les mots.

— Max ?

— Oui, Hiram ?

— Concentre-toi sur le déchiffrage des symboles célestes et laisse tomber les inscriptions alphabétiques pour le moment.

— Tu voudrais que j’analyse la carte céleste ?

— Fais de ton mieux.

— Peux-tu me donner jusqu’à cinq heures ? Je pense que je devrais pouvoir les avoir traités à ce moment-là.

— Tu prends le temps que tu veux.

— Max ne demande que quelques heures pour un projet qui devrait exiger des mois, voire des années ? s’étonna Pat.

— Ne sous-estimez jamais Max, dit Yaeger en faisant pivoter sa chaise et en avalant une gorgée de café. J’ai passé presque toutes mes jeunes années à l’assembler et à la mettre au point. Il n’existe aucun autre système informatisé comme elle au monde. Bien sûr, elle sera obsolète dans cinq ans. Mais pour l’instant, il existe peu de choses qu’elle ne soit capable de faire. Elle est unique et elle appartient corps et âme à moi et à la NUMA.

— Et les brevets ? Vous avez sûrement dû donner vos brevets au gouvernement ?

— L’amiral Sandecker n’est pas un quelconque bureaucrate. Nous avons un contrat verbal. Je lui fais confiance et il me fait confiance. Cinquante pour cent de tous les revenus que nous retirons des royalties sur nos brevets ou des recettes que nous rapporte l’utilisation des données que nous avons accumulées par des associations privées ou des agences gouvernementales sont reversés à la NUMA. Les autres cinquante pour cent sont pour moi.

— On peut dire que vous travaillez pour un homme équitable. N’importe quel autre employeur vous aurait donné un petit pourcentage, une montre en or et une tape affectueuse sur l’épaule, puis aurait placé vos bénéfices à sa banque.

— J’ai la chance d’être entouré de gens honnêtes, dit Yaeger avec sérieux. L’amiral, Rudi Gunn, Al Giordino et Dirk Pitt sont tous des hommes que je suis fier d’appeler mes amis.

— Vous les connaissez depuis longtemps ?

— Près de quinze ans. On a eu des moments fabuleux ensemble et on a résolu pas mal d’énigmes dans les océans.

— Pendant que nous attendons que Max revienne à nous, pourquoi ne pas commencer à analyser les symboles ? Nous pourrons peut-être trouver un indice de leur signification.

— Bien sûr, dit Yaeger.

— Pouvez-vous reproduire l’image holographique de la crypte ?

— Il suffit de le demander, dit Yaeger en tapant une petite commande sur son clavier. L’image des murs intérieurs de la crypte se matérialisa à nouveau.

— Pour déchiffrer une écriture analytique inconnue, le premier truc est de séparer les consonnes des voyelles. Ne sachant pas s’ils représentent des idées ou des objets, je supposerai que les symboles sont alphabétiques et qu’ils représentent des phonèmes.

— Quelle est l’origine du premier alphabet ? demanda Yaeger.

— On n’a pas beaucoup de preuves solides, mais la plupart des épigraphistes pensent qu’il fut inventé dans l’ancien Canaan et en Phénicie, entre 1700 et 1500 avant Jésus-Christ. On l’appelle le sémitique du Nord. Les principaux érudits le contestent, évidemment. Mais ils ont quand même tendance à admettre que les cultures méditerranéennes primitives ont développé les prémices d’un alphabet à partir de symboles géométriques. Bien plus tard, les Grecs ont adapté et affiné l’alphabet, de sorte que les lettres que nous utilisons aujourd’hui ont un lien avec les leurs. Les développements suivants sont dus aux Étrusques, puis aux Romains, qui s’en sont beaucoup inspirés pour élaborer la langue latine écrite dont les caractères classiques ont formé plus tard les vingt-six lettres de l’alphabet que nous utilisons aujourd’hui.

— Par quoi commençons-nous ?

— Par le commencement, dit Pat en se référant à ses notes. Je ne connais aucun autre système d’écriture ancienne dont les symboles correspondent à ceux de la crypte. Il semble qu’il n’y ait aucune influence d’aucune sorte, ce qui est tout à fait inhabituel. La seule vague similarité est l’alphabet celte oghamique, mais la ressemblance s’arrête là.

— Oh ! J’allais oublier !

Yaeger lui tendit une petite caméra équipée d’une poignée.

— Max a déjà codé les symboles. Si vous souhaitez que je vous aide, de là où je suis, pour n’importe quel calcul, dirigez simplement la caméra vers le symbole et sa séquence dans l’inscription que vous voulez étudier. Je mettrai en route un programme de déchiffrage.

— Ça me paraît épatant, dit Pat, heureuse de reprendre le collier. D’abord, faisons la liste des différents symboles et voyons combien de fois chacun est représenté. Ensuite, nous pourrons essayer de les grouper en mots.

— Comme « le » ou « et » ?

— La plupart des anciens langages n’incluent pas des mots qui nous semblent évidents aujourd’hui. Je voudrais aussi voir si nous pouvons détecter les voyelles avant de nous attaquer aux consonnes.

Ils travaillèrent sans relâche toute la journée. À midi, Yaeger appela la cafétéria de la NUMA et fît monter des sandwiches et des boissons fraîches. Pat se sentait de plus en plus frustrée. Les symboles paraissaient exaspérément simples à déchiffrer et pourtant, à 17 heures, elle avait à peine réussi à démêler leurs définitions.

— Pourquoi le système numérique a-t-il été si simple à trouver alors que l’alphabet paraît si compliqué ? murmura-t-elle avec irritation.

— Pourquoi ne pas laisser tomber jusqu’à demain ? proposa Yaeger.

— Je ne suis pas fatiguée.

— Moi non plus, mais nous aurons une vision plus fraîche des choses. Je ne sais pas si c’est le cas pour vous, mais les meilleures solutions me viennent toujours au milieu de la nuit. D’ailleurs, Max n’a pas besoin de sommeil. Je vais la brancher sur les inscriptions pendant la nuit. Demain matin, elle aura sûrement une idée sur la traduction.

— Je n’ai rien à redire.

— Avant que nous partions, je vais demander à Max si elle a fait des progrès avec les étoiles.

Les doigts de Yaeger n’avaient pas besoin de jouer sur le clavier. Il appuya simplement un bouton de transmission et demanda :

— Max, tu es là ?

Son visage maussade apparut sur l’écran.

— Qu’est-ce qui vous a pris si longtemps pour m’appeler, au Dr O’Connell et à toi ? Il y a près de deux heures que j’attends.

— Désolé, Max, dit Yaeger sans réel regret. Nous étions occupés.

— Vous n’avez passé que quelques heures sur le projet, dit naïvement Pat. Vous avez trouvé quelque chose ?

— Et comment ! rétorqua Max. Je peux vous dire exactement ce que vous voulez savoir.

— Commence par nous dire comment tu es arrivée à tes conclusions, ordonna Yaeger.

— Tu ne pensais pas que j’allais calculer moi-même le mouvement des étoiles, tout de même ?

— C’était ton boulot.

— Pourquoi aurais-je usé mes puces quand un autre ordinateur peut faire le travail ?

— Je t’en prie, Max, dis-nous ce que tu as découvert.

— Bon. D’abord, c’est un processus géométrique compliqué que de trouver les coordonnées des objets célestes dans le ciel. Je ne rentrerai pas dans les détails fastidieux sur les moyens de déterminer l’altitude, l’azimut, la bonne ascension et la déclinaison. Mon problème était de déterminer les sites où les coordonnées gravées dans le roc de la crypte étaient mesurées. J’ai réussi à calculer les sites originaux d’où les astronomes ont fait leurs observations, à quelques kilomètres près. Et aussi les étoiles dont ils se sont servis pour mesurer les déviations sur de très très nombreuses années. Les trois étoiles de la Ceinture de la constellation d’Orion, le Chasseur, sont toutes mobiles. Sirius, l’étoile Chien, assise au pied d’Orion, est fixe. À partir de ces nombres, j’ai pénétré l’ordinateur d’astrométrie du Centre National des Sciences.

— Honte à toi, Max ! gronda Yaeger. Tu pourrais m’attirer beaucoup d’ennuis en faisant des raids sur le réseau d’un autre ordinateur.

— Je crois que l’ordinateur du CNS m’aime bien. Il a promis d’effacer mon enquête.

— J’espère que tu peux compter sur lui, grogna Yaeger.

Mais il n’en pensait pas un mot. Il avait déjà lui-même pénétré de nombreux réseaux informatiques pour y chercher des données non autorisées.

— L’astrométrie, poursuivit Max sans paraître ennuyée, au cas où vous ne le sauriez pas, est l’une des branches les plus anciennes de l’astronomie et sert à déterminer les mouvements des étoiles. Vous me suivez ?

— Continuez, dit Pat avec impatience.

— Le type qui manipule l’ordinateur du CNS n’a pas mon niveau, évidemment, mais comme il s’agissait d’un programme élémentaire pour lui, je lui ai fait du charme pour qu’il calcule la déviation entre les positions de Sirius et d’Orion quand la crypte a été construite et leurs coordonnées actuelles dans le ciel.

— Vous avez daté la crypte ? murmura Pat en retenant son souffle.

— En effet.

— Est-ce un canular ? demanda Yaeger, comme s’il avait peur de la réponse.

— Non, à moins que ces mineurs du Colorado dont tu as peur aient été des astronomes de grande classe.

— Je vous en prie, Max. Quand la crypte a-t-elle été construite et les inscriptions gravées sur les murs ? supplia Pat.

— Vous ne devez pas oublier que mes estimations sont à quelques centaines d’années près.

— Est-elle âgée de plus de cent ans ?

— Me croirez-vous, dit Max, en prenant son temps pour faire durer le suspense, si je parle d’un chiffre tournant autour de neuf mille ans ?

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que la crypte a été taillée dans la roche du Colorado à peu près 7 100 ans avant Jésus-Christ.

Atlantide
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